Faune et Succulentes à Desert Springs (2007)

Faune et Succulentes à Desert Springs (2007)

Joël Lodé (Espagne)

    En 2001, quand je suis arrivé à Desert Springs, un terrain de golf en construction au nord de l’Andalousie, j’ai pu apprécier qu’il s’agissait d’une zone abandonnée d’anciennes cultures, principalement laitues et tomates. Le défi était de construire un terrain de golf dans une zone désertique où il tombe moins de 200 mm par an, et planter des cactus comme sur les golfs en Arizona.
    Le relief, les chemins originaux ont été conservés. L’environnement immédiat a été également conservé (l’entrée des orangers, la côte des pins, le plateau et son environnement avec caroubiers, eucalyptus et l’unique acacia sauvage du golf (Acacia karoo).
    Mais l’Andalousie n’est pas l’Arizona : le peu de précipitations qui tombent dans la zone de l’Almanzora le font en hiver au lieu de l’été comme en Arizona ; là-bas les cactus et les autres plantes sont dans leur environnement naturel et il s’agit simplement d’inclure un terrain de golf au milieu d’une nature existante.
    Ici, la réalité est toute autre! Il fallait planter tous les cactus, grands et petits, où il n’y avait absolument rien, en créant un environnement totalement artificiel au début, pour le changer peu à peu en un lieu presque naturel. Peu à peu, des espèces de la flore sauvage sont apparues et toute une faune, particulièrement l’avifaune, ont commencé à repeupler la zone. La chaîne trophique fonctionne si les ressources alimentaires et la reproduction sont possibles. Avec les plantes, les invertébrés et petits vertébrés sont une source d’aliment pour les plus grands.
    Aujourd’hui, beaucoup d’espèces animales vivent ensemble sur le domaine du golf, et la présence humaine ne semble pas être un facteur de limitation, quelques oiseaux nichent en réalité et se reproduisent sur le terrain même de golf, par exemple la Chouette chevêche (Athene noctua) ou le Courlis des pierres (Burhinus oedicnemus). Quelques oiseaux comme la Foulque noire (Fulica atra) sont réellement audacieux et passent une partie de leur temps sur le trou 14, à nettoyer le gazon (voir photos) !
    Nous avons fait un inventaire dynamique le plus exhaustif possible, et jusqu’à présent, avons identifié 321 espèces d’animaux, desquelles plus d’une centaine d’espèces sont des oiseaux, certains mettant à profit les eaux des lacs artificiels de Desert Springs pour se reposer dans leurs longs voyages migratoires.
    Durant la construction du golf de Desert Springs, les relations trophiques ont été prises en compte, et grâce à la présence d’eau, les insectes, les oiseaux, les reptiles ont une interdépendance naturelle. Le mieux était de ne pas interagir, ou sinon de manière positive, en apportant des éléments pour favoriser l’alimentation des espèces, oiseaux et insectes, en plantant ou semant des espèces sauvages ou introduites comme  des Cactacées et autres Succulentes qui produisent des fruits comestibles ou du nectar, en donnant un apport énergétique et nutritionnel en quantité suffisante non seulement pour nourrir l’actuelle population, mais pour que cette population puisse augmenter dans des termes écologiques c’est-à-dire en équilibre avec l’environnement proposé.

RELATION ENTRE FAUNE ET SUCCULENTES

- INSECTES ET ARACHNIDES
    La relation entre les succulentes et la faune sauvage est évidente : elle permet d’obtenir un bénéfice mutuel entre les pollinisateurs et les plantes. Insectes pollinisateurs, mais aussi prédateurs : Abeilles (Apis mellifera), guêpes comme Polistes gallicus, qui construit son nid dans Agave, Euphorbia et cactus, Rhynchium oculatum ou Sceliphron destillatorium et coléoptères : Coccinella septempunctata, Cardiophorus gramineus très commun, assaillant au printemps les inflorescences d’Agave, Cerocoma schaefferi, Lixus iridis, Mylabris polymorpha, Timarcha tenebricosa, Blaps mucronata, ou aussi les plus rares Alphasia holosericea et Psilothrix cyaneus se trouvent souvent au sommet de cactus ou succulentes dans de diverses activités (voir photos).
    Les papillons ont des fleurs sauvages à leur disposition, mais à part les différentes espèces de cactus (64 espèces sur le golf), certaines succulentes (120 espèces sur le golf) sont aussi pollinisées par Colias croceus, Cynthia cardui, Thymelicus syriacus entre autres (voir photos).
    Le simple mécanisme pour favoriser la reproduction des espèces végétales est d’avoir une quantité suffisante de spécimens de la même espèce ainsi que de ses pollinisateurs. Les semis naturels de quelques espèces comme Euphorbia lamarckii apparaissent dans diverses zones du golf. L’interaction entre la flore (introduite ou sauvage) et la faune est totale. Des punaises comme Dicranocephalus agilis ou Sehirus luctuosus ont une préférence marquée pour Euphorbia lamarckii qui semble être une plante d’intérêt pour beaucoup d’insectes.
    Pour les fourmis comme Camponotus lateralis ou Lasius niger, les fleurs et le nectar de plusieurs d’espèces de cactus comme Neobuxbaumia, Cylindropuntia, Ferocactus, Stenocereus etc.. permettent de se nourrir, et aussi d’élever des pucerons, cette dernière activité n’étant pas très appréciée de Sergio, chargé du service phytosanitaire dans la pépinière et la zone du golf.
    Les araignées sont très communes (Argiope lobata, A. trifasciata, Araneus gemma, Steatodea paykulliana …), très utiles aussi pour le contrôle des insectes grâce à la prédation qu’elles exercent sur ceux-ci. L’une d’elles, Thomisus onustus, se met dans une fleur pour guetter sa proie. Les Cactacées et les autres succulentes sont un support très approprié pour construire des toiles et des nids, et sont ainsi utilisés : Opuntias, Euphorbias et cactus ramifiés comme Cleistocactus, Trichocereus, Pilosocereus, Vatricania, Stenocereus etc.. Plusieurs araignées (plus de la moitié des 34 espèces répertoriées!) trouvées actuellement sur le golf sont des espèces encore indéterminées.
    Le scorpion Buthus occitanus est présent, mais discret et peu agressif, si on le laisse tranquille.
    D’autres prédateurs sont les libellules, qui préfèrent être sur des plantes aquatiques, près de l’eau où elles chassent des larves de moustiques. Mais les supports de repos peuvent aussi être des cactus ou autres succulentes comme Oreocereus celsianus ou Euphorbia triangularis. Les mantes religieuses guettent leurs victimes, souvent au sommet d’un cactus. Il n’est pas rare de voir Mantis religiosa, Ameles spallanziana, Iris oratoria, ou Rivetina baetica, sur Euphorbias, Trichocereus, Opuntia galapageia, Haageocereus sp., jusque même sur les inflorescence d’Agaves.
    Les sauterelles vertes et les criquets sont un groupe très important d’insectes dans la chaîne alimentaire des Mantes religieuses, et ne manquent pas à Desert Springs, comme par exemple Anacridum aegyptium, Pyrgomorpha conica, Acrida hungarica, Calliptamus italicus, Tettigonia viridissima, Decticus albifrons etc.. Ceux qui se trouvent dans les cactus sont parfois ceux qui mangent de tout, même des Opuntias, comme Heteracris littoralis. En choisissant les Opuntias pour guetter leur proie, les Mantes sont assurées de ne pas mourir de faim!
     - OISEAUX
    Mis à part les oiseaux aquatiques comme la Foulque noire (Fulica atra), l’Echasse blanche (Himantopus himantopus) et la Poule d’eau (Gallinula chloropus) qui sont omniprésents, la Chouette Chevêche (Athene noctua) est réellement l’oiseau le plus attachant de Desert Springs, nettoyant la zone de rongeurs, toujours installé, parfois le jour entier, au sommet d’un grand cactus comme Pilosocereus azureus, Pachycereus pecten-aboriginum, P. pringlei, ou Trichocereus terscheckii, poste d’observation aussi utilisé fréquemment par Lanius excubitor ou le Faucon crécerelle (Falco tinnunculus). L’aigrette garzette Egretta garzetta et Gallinula chloropus utilisent les succulentes comme protection contre le soleil et les possibles dangers. Ainsi, la poule d’eau niche entre Euphorbia canariensis et se cache parmi Austrocylindropuntia subulata .
    Cet hiver, Desert Springs a reçu la visite du Grand Cormoran (Phalacrocorax carbo) qui sont restés en nombre, laissant à peine du terrain aux joueurs de golf pour pratiquer leur sport favori! Il n’est pas non plus rare d’observer le vol de vautours fauves comme Gyps fulvus ou d’aigles comme Hieraetus pennatus ou Aigle botté.

- REPTILES
    Ces zones aquatiques créées dans un environnement désertique, non seulement permettent d’attirer des oiseaux aquatiques ou non, migrateurs ou non, mais aussi des amphibiens et des insectes entre autres, des sauterelles, des libellules, des coléoptères, des papillons, et des reptiles comme la couleuvre à échelons (Elaphe scalaris) ou la couleuvre vipérine (Natrix maura) bien qu’inoffensives toutes les deux. Nous avons trouvé une jeune jusque dans un Polaskia chichipe, pas le lieu le plus approprié pour se reposer! Egalement des lézards comme Lacerta lepida f. nevadensis se trouvent près des Myrtillocactus geometrizans et M. cochal. Le Gecko verruqueux (Hemidactylus turcicus) peut se trouver dans Opuntia, où il chasse de petits insectes durant la nuit.
    La Torture mauresque (Testudo graeca) niche et se reproduit dans les ravins. Il est probable qu’elle ajoute des feuilles succulentes à sa diète. Il faut aussi remarquer la présence du serpent (réellement un Amphisbanidae) le plus petit du monde : Blanus cinereus. Les amphibiens sont représentés entre autres par le Crapaud calamite (Bufo calamita) et la grenouille de Perez (Rana perezii). Seul le crapaud calamite trouve refuge près des Pachycereus pringlei, à la base, dans des trous où l’humidité se concentre.
- MAMMIFERES
    Les mammifères sont plus difficiles à apercevoir, bien que l’on puisse surprendre au moins le renard (Vulpes vulpes) ou le lapin de garenne (Oryctolagus cuniculus) entre les Euphorbias du trou 9. Les lapins de garenne sont particulièrement attirés par les racines de beaucoup de cactus, qu’ils laissent littéralement à l’air, spécialement Echinocereus stramineus, peut-être à cause de ses propriétés hallucinogènes!

ÉPILOGUE
    Ce travail a permis à Desert Springs de recevoir en 2005 le Prix “Madera Verde” pour sa responsabilité en matière de respect de l’environnement.
Je voudrais ici remercier tout spécialement Stephen Hitchins, Président de Desert Springs Golf Club, qui a demandé ce travail, et qui a proposé la réalisation d’une étude exhaustive de la flore et de la faune sauvage qui terminera dans la publication de plusieurs livres illustrés sur les espèces de faune et de flore sauvage présentes à Desert Springs et ses environs.
    Pendant ces années, Stephen Hitchins a encouragé la visite de Desert Springs au public en général, mais aussi aux écoles. Des botanistes sont venus depuis toute l’Espagne, Portugal, France, Allemagne, Belgique, Angleterre, Hongrie et Mexique, comme le regretté Pr Alfred Lau. Nous avons été honorés de la visite de John Lavranos, grand spécialiste de la flore succulente de l’Afrique et du Moyen-Orient.
    Bien sûr, l’écologie a ses limites, et la meilleure forme d’aider la nature est souvent ne pas interférer avec elle. Cependant, l’étude réalisée des espèces confirmées montre que le nombre d’espèces d’animaux et de plantes sauvages à Desert Springs est en augmentation constante, preuve que, avec une volonté assumée de gestion correcte de l’environnement, golf et nature peuvent vivre ensemble en parfaite harmonie.

Texte : J.L., photos : J.L.